Seychelles EU Connection
Would you like to react to this message? Create an account in a few clicks or log in to continue.

Décès de Danielle Mitterrand, veuve de François Mitterrand

Go down

Décès de Danielle Mitterrand, veuve de François Mitterrand  Empty Décès de Danielle Mitterrand, veuve de François Mitterrand

Post  Sirop14 Tue Nov 22, 2011 2:08 pm

Danielle Mitterrand: "La gauche était dans mes gènes"

Danielle Mitterrand s'est éteinte ce mardi, à l'âge de 87 ans. En février 1996, l'épouse de l'ancien président s'exprimait en exclusivité dans L'Express pour la première fois depuis la disparition de son mari.

De l'escalier en colimaçon, rue de Bièvre, à Paris, on débouche au premier étage dans son univers à elle. Une chambre de jeune fille tendue de toile rose thé, avec des peintures naïves et sur les étagères des poupées bien rangées et des objets que rien ne justifie, sauf le sentiment. Incongrue, au milieu de la pièce, une baignoire. Nous sommes, cet après-midi de février, dans la chambre-bureau-salle de bains de Danielle Mitterrand. Au mur, une photo de François Mitterrand avec une de ses petites-filles. A nos pieds, Baltique, le labrador qu'elle emmène le lendemain à Latche. Elle est pâle, et de noir vêtue. Seuls éclats de lumière, les reflets de son pendentif en or, qui représente le chêne, symbole présidentiel de François Mitterrand, et puis ses yeux espiègles qui se brident quand elle sourit. A 71 ans, Danielle Mitterrand, visage triangulaire, pommettes hautes et regard de chat, ressemble toujours à Danielle Gouze, cette femme-enfant mûrie par la guerre et la Résistance, qui, à 20 ans, pour le meilleur et pour le pire, épousa François Mitterrand.

Six semaines après la mort de l'ancien président, Danielle Mitterrand reçoit L'Express. Pour parler de sa fondation, qui a tout juste dix ans, et du livre qu'elle publie pour marquer cet anniversaire: "En toutes libertés", aux éditions Ramsay. Pour parler de la mort, de la vie et, surtout, de lui. De lui, dont elle parle toujours au
présent.

- CHRISTINE OCKRENT: Comment allez-vous?
- DANIELLE MITTERRAND: "Je vais bien. Aussi bien que possible dans ces circonstances. J'ai travaillé beaucoup, ça m'a aidée. Et puis, surtout, j'ai reçu des milliers de lettres, 18 000 lettres, il a fallu s'organiser..."

- L'ombre n'est pas trop lourde?
- "Ce n'est pas une ombre. C'est une présence. Je crois que je n'ai jamais été aussi proche de lui que depuis qu'il nous a quittés. Il n'y a pas de journée, pas de minute où je ne me réfère à lui... Ce livre m'a beaucoup aidée à traverser cette période. Je me suis tellement replongée dans toute la vie que j'ai passée avec lui depuis 44, j'ai relu tous ses ouvrages, je me suis remémoré des périodes que, peut-être, il n'avait pas vécues comme je les raconte, mais moi, je les ai vécues comme cela."

- Est-ce qu'il a pu lire certains passages de votre livre?
- "Non. Je lui avais demandé s'il voulait écrire la préface; il m'avait répondu: "Pourquoi pas, je le lirai d'abord!" Mais il n'a pas eu le temps.
Parmi les tâches qui vous absorbent, et que chacun d'entre nous connaît dans ces périodes tellement douloureuses, il y a aussi la gestion de la succession...
Oui, ça c'est vrai, toute disparition amène son lot de problèmes. La gestion des oeuvres littéraires en cours n'est pas des plus faciles.é

- Pourquoi?
- "Parce qu'il était en train d'écrire. Alors, comment décider d'éditer ce qu'il a écrit? Doit-on considérer ces textes en cours comme aboutis? Et puis je ne m'attendais pas du tout à cette ferveur et à toutes ces initiatives qui veulent le célébrer. On a une montagne de propositions! Des tee-shirts, des cartes postales, des montres, des monuments. Il y a un nombre incroyable de demandes pour baptiser "François Mitterrand" des rues et des écoles, en France et dans le monde entier! Vous savez, je pensais bien que les Français l'aimaient, mais tant de manifestations d'amour et de reconnaissance me surprennent. Si vous voyiez "les lettres extraordinaires que j'ai reçues. On ne se rendait pas compte, de son vivant, de l'impact qu'il avait pu avoir... Il a levé des passions, dans les deux sens d'ailleurs, des sentiments qui sont bouleversants.

- Et c'est à vous de gérer tout cela?
- "Oui. C'est à moi, avec la famille."

- Et vous êtes, personnellement, légataire universelle?
- "Oui."

- Cela vous a surprise?
" - Non, je le savais. Nous étions mariés sous le régime de la communauté universelle, et puis il y avait un testament que nous avions fait ensemble, il y a des années."

- Votre livre à vous n'est pas un testament, c'est plutôt une longue déclaration d'amour.
- "Peut-être. Je ne sais pas s'il sera interprété ainsi. C'est vrai que c'est aussi le récit d'une longue vie commune. Ce livre, je me suis décidée à l'écrire pour célébrer les 10 ans de la Fondation France-Libertés, que je préside. Elle aura besoin des droits d'auteur pour réaliser de nouvelles actions. Comme toutes les organisations non gouvernementales et toutes les associations, nous devons être imaginatifs pour vivre. Nous cherchons de l'argent pour continuer à défendre nos idées et les droits des hommes dans le monde."

Tous les matins quand on se levait, dans la Résistance, on ne savait jamais où on dormirait le soir, dans notre lit, en prison ou dans les bois, ou bien étendus pour l'éternité dans un fossé

- Ce livre, c'est, au fond, l'histoire d'un couple. D'un couple singulier, trempé et soudé par la guerre...
- "Qui est né de la guerre. Après vient la vie commune. Les années passent, et puis la soudure se fait avec le temps. Je crois que toutes les épreuves que nous avons vécues ensemble ont été positives, même les échecs. Quand nous nous sommes connus, tous les matins quand on se levait, dans la Résistance, on ne savait jamais où on dormirait le soir, dans notre lit, en prison ou dans les bois, ou bien étendus pour l'éternité dans un fossé. Tout ça décuple la vivacité des sentiments. On a l'impression qu'il faut vivre vite, vite, vite. Et quand je dis: j'ai connu François à Pâques et je l'ai épousé en octobre, évidemment ça étonne tout le monde! Mais, dans ces six mois-là, il s'est passé tellement de choses qu'elles auraient pu composer une vie entière ou, en tout cas, dix ans de fiançailles en temps de paix. C'était du concentré de vie! Je pourrais vous parler d'autres mariages qui se sont faits à la même époque dans des circonstances quelquefois invraisemblables et qui ont constitué des couples qui vivent encore aujourd'hui ensemble, qui ont des enfants et qui ont accompli, eux aussi, leur cinquante ans de vie commune."

- Par ces épreuves-là, vous expliquez la singularité du couple, mais aussi des amitiés, comme celle qui vous a liée à Patrice Pelat.
- Il est vrai que les amis qui ne nous ont jamais déçus, ce sont ceux de cette époque-là: Bernard Finifter, Jean Munier, Patrice Pelat, André Bettencourt, Pierre de Bénouville... Bien sûr, les circonstances de la vie nous ont parfois éloignés, mais jamais séparés. Ce sont des amitiés inaltérables qui se sont nouées à ce moment-là.

-Et donc, au nom de cette amitié, vous excusez tout...
- "Ah! non, je ne dis pas ça! Non, non, je ne dis pas ça! Ecoutez, vous avez un enfant, et cet enfant, quoi qu'il fasse, c'est toujours votre enfant, et vous l'aimez. Eh bien, on a des amis qui ont peut-être fait d'autres choix politiques ou personnels, qui, peut-être, se sont trompés. En disant cela, je ne parle pas de Patrice Pelat, qui n'a finalement jamais été jugé, et même aujourd'hui la justice a considéré comme abusives les procédures menées contre lui par certains."

-A ce propos, vous avez des phrases très dures à l'adresse du juge Jean-Pierre...
- "Oui... D'abord, parce qu'on ne condamne pas quelqu'un sans certitudes, on ne jette pas quelqu'un en pâture à l'opinion publique. Et puis, il y avait dans ces attaques un côté systématique, comme si on avait voulu blesser François chaque fois en disant: "Patrice Pelat, l'ami du président...." Ceux qui avaient élaboré cette stratégie ne se rendaient pas compte que ça ne nous gênait pas du tout. C'est notre ami, il reste notre ami, quelle que soit l'évolution de sa vie. Et, même si on l'accuse de délit d'initié, de je ne sais quoi, moi, ça m'est égal."

- Donc l'amitié, pour vous, sert d'absolution...
- Non, ce n'est pas une forme d'absolution, mais c'est quelque chose qu'on ne peut pas arracher de soi. Et, pour moi, Patrice sera toujours un frère. On a vécu des moments trop forts ensemble pour les annuler parce qu'il aurait été mêlé à une histoire d'argent... De toute façon, moi, les histoires d'argent, je les évacue... Ce n'est pas ça, Patrice. D'ailleurs, vous savez, il en est mort. Parce que, le jour où on a fini par le persuader qu'il pouvait être nuisible à François, que leur amitié pouvait porter préjudice à François, il ne l'a pas supporté...


Danielle Mitterrand n'a "jamais douté" de son époux.

AFP/MEHDI FEDOUACH

- Mais vous admettez l'idée que même quelqu'un que vous avez autant aimé ait pu, finalement, profiter des facilités du pouvoir...
- "... mais cela est complètement faux! Patrice était riche bien avant que François soit président. Et quand François est devenu président, il s'est défait de sa principale entreprise pour être plus disponible, plus proche de son ami."

- Donc, vous n'imaginez pas que les gens que vous avez si bien connus puissent être atteints ou corrompus par le pouvoir et ses ivresses?
- "Son ivresse à lui, c'était d'être avec François. Etre près de François. C'est ce que les gens n'ont pas compris. Financièrement, il n'en a tiré aucun avantage. D'ailleurs, François ne pouvait rien lui donner. Patrice, il n'avait qu'une envie, c'était de partager de bons moments de vie avec nous et nos fils. Il savait que nous, les Mitterrand, nous n'avons jamais spéculé, et que ce n'est pas notre état d'esprit. François et moi étions plutôt du genre à vivre au jour le jour. C'est vrai que nous n'avons pas eu les mêmes itinéraires. Lui, qui était un garçon très pauvre, est devenu immensément riche. Il a fréquenté des gens fortunés, et ce milieu, en définitive, auquel il s'était très bien adapté, ne le satisfaisait pas. La preuve: dès que François a eu ses ennuis, en 59, ulcéré d'entendre ce qui se disait dans les dîners mondains, il est revenu, il ne nous a plus jamais quittés."

En 1941, quand mon père a été limogé - j'ai trouvé ça tellement injuste que j'ai perdu mes illusions d'adolescente sur la justice des hommes

- Ces ennuis, comme vous dites, en 59, c'est ce qu'on a appelé l' "attentat de l'Observatoire", qui a été pour vous une vraie blessure.
- "J'ai deux vraies cassures dans ma vie: en 1941, quand mon père a été limogé - j'ai trouvé ça tellement injuste que j'ai perdu mes illusions d'adolescente sur la justice des hommes."

- Il avait été limogé par les autorités de Vichy, parce qu'il était proviseur...
-"... et qu'il avait refusé de donner les noms des enfants et des professeurs juifs. Ou les noms à consonance étrangère. Et puis la seconde cassure, je l'ai vécue au côté de François, en 59. Là, François était vraiment abattu..."

- Atteint...
- "Abattu. On voulait l'abattre physiquement, mais il a été abattu moralement, affectivement. Il se disait: "Mais comment? Qui m'en veut à ce point pour me mettre dans une situation pareille?" Cette machination était vraiment très bien montée, et, pour s'en sortir... C'est à ce moment-là qu'on a compté les vrais amis, les vrais... ceux qui n'ont pas douté une seconde de François..."

- Et vous-même, Madame?
- "Moi, je n'ai jamais douté non plus."

- Jamais?
- Jamais.

- Pas un instant le doute ne vous a effleurée?
- "A l'idée que François aurait pu monter tout cela? Mais ça ne lui ressemble tellement pas. François ne comprend rien à un roman policier. Chaque fois qu'on regardait un film policier, il disait: "Et celui-là, pourquoi il est là? Qu'est-ce qu'il fait?" C'était quelquefois irritant de regarder un film avec lui, il fallait tout lui expliquer. [Rires.] Il n'a pas ce côté vicieux de... comment dirais-je?"

- Manipulateur?
- "François est un grand visionnaire. Il voit les étapes d'une politique à très long terme, il anticipe et sait motiver et diriger les hommes. Mais monter une minable machination comme ça, il en est incapable! Et, dans cette affaire, l'Histoire prouve qu'il a été bien naïf..."

- Franchement, il n'est jamais apparu comme un personnage naïf...
- "Peut-être, concernant cette affaire, le qualificatif devrait-il être "désarmé" devant tant de mauvaise foi et de perversité."

- Mis à part cette affaire-là, il n'y a jamais un moment où vous avez douté de lui?
- "Jamais. Même quand il était au pouvoir, je ne doutais pas. Mais j'ai souvent été en colère de voir que les contraintes politiques, ce qu'on appelle la reapolitik, la raison d'Etat, l'empêchaient d'agir selon ses aspirations. Gouverner, c'est une lourde responsabilité."

Quelle femme peut dire "Je n'ai jamais été trompée"?
- Sur le personnage lui-même, sur l'homme que vous avez aimé, que vous aimez, vous avez eu des moments de doute?
- "Non, je ne me suis jamais posé la question de savoir s'il pensait bien ou mal. Je sais qu'il pensait bien. Je ne l'ai jamais pris en défaut d'avoir une pensée perverse."

- Les exemples que vous me donnez sont toujours politiques. Mais ce qui est très émouvant dans votre livre, entre les lignes, avec pudeur, ce sont les autres blessures que vous évoquez, celles d'une femme meurtrie par certaines épreuves, par un certain style de vie, une femme trompée par la politique, ou plutôt sacrifiée à la politique...
- Une femme peut être trompée de tant de façons. [Rires.] Quelle femme peut dire "Je n'ai jamais été trompée"?

- Quelle femme peut se dire quoi?
" - Qu'elle n'a jamais été trompée ou qu'elle ne s'est jamais trompée dans son engagement amoureux. Et d'ailleurs y a- t-il beaucoup de femmes qui peuvent dire qu'elles n'ont jamais trompé leur mari? Hein?" [Sourires.]

- Là, vous êtes coquine!
- "Non, lucide et sincère, ce sont les rapports humains. Ça fait partie de la vie. Je me souviens de ces rages que j'avais, les premières années de notre mariage, quand je le voyais faire du charme, ça m'agaçait, ça m'agaçait!"

- C'était un immense séducteur!
- "Eh bien oui, j'avais épousé un séducteur, il fallait que je fasse avec! Si je voulais rester avec lui, il fallait que je l'admette. Au début, c'est vrai que ça me faisait beaucoup souffrir. Mes parents m'avaient eue assez tard, et c'était un couple apaisé, si je puis dire. Ils ont toujours été très sereins, et je croyais, moi, que tous les couples étaient comme ça. Donc, c'est vrai que ça a été pour moi une surprise. Et puis, l'intelligence de la vie, c'est de faire la part des choses. C'est de se dire que, de toute façon, cet homme-là, je resterais avec lui. Parce qu'il est différent. Avec lui je ne m'ennuyais jamais. Vraiment, j'ai eu une vie passionnante au plus haut point avec lui."

- Mais vous avez eu aussi des blessures?
- "J'ai eu des blessures, mais je les ai assumées."

- Votre première rivale a toujours été la politique. Et vous racontez joliment comment, le jour même de votre mariage, François Mitterrand vous quitte, ou plutôt vous emmène - parce que vous insistez - en robe de mariée, à une réunion...
- "Oui, c'est là où j'ai compris qu'avec lui, en même temps que lui, je devais épouser sa raison d'être. Je n'allais pas le changer."

Moi, la gauche était dans mes gènes

- Vous avez été militante, vous l'êtes toujours... François Mitterrand n'était pas, comme vous, originellement, culturellement, de gauche...
- "Culturellement, non. Et c'est d'autant plus méritoire... Il avait, malgré son milieu, cette façon d'être de gauche. Il était issu d'une famille catholique pratiquante qui se situait dans la droite éclairée. Dans une famille il y a souvent un canard boiteux. Le canard boiteux, non conforme, c'était François, il avait cette..."

-... cette conviction?
- "Ça n'était même pas une conviction, il était construit intellectuellement pour être un homme de gauche."

- Vous lui avez donné des leçons de gauche plusieurs fois!
- "Non, je n'avais pas besoin - et puis on ne donne pas de leçons à François! Ce comportement, il l'a manifesté dès qu'il a été prisonnier. J'ai retrouvé un tout petit fascicule de conférences qu'il avait prononcées, qui s'appelle Leçons de choses de la captivité, où il raconte comment, pour certains, c'était le "chacun pour soi". Et comment, avec des compagnons d'infortune, il a su s'organiser pour créer une démocratie, susciter une vraie démocratie dans le camp, basée sur le partage... Moi, la gauche était dans mes gènes. Je n'avais pas de problèmes, encore que j'aurais très bien pu devenir une femme de droite!"

- Avec l'éducation que vous avez reçue?
- "Mais j'aurais pu me rebeller contre cette éducation."


François Mitterrand jette un regard amusé (ou réprobateur?) à son épouse Danielle, prise d'un fou rire pendant les hymnes nationaux joués à leur arrivée à l'aéroport de Quito en Equateur.

AFP

- Vous racontez très bien comment, à votre arrivée à l'Elysée, vous essayez de comprendre quel peut être votre rôle... loin des petits-fours, des cuisines... On a l'impression qu'au fond vous n'avez jamais été dupe, ni de la cour ni du décor...
- "C'est une réaction que j'ai eue très très jeune. Mon père était assez sensible à la hiérarchie. A l'arrivée du moindre inspecteur d'académie, du moindre recteur ou secrétaire d'Etat, il était tout fébrile, et moi je me disais: "Mais pourquoi? Ce sont des hommes comme les autres!" Peut-être par fierté pour mon père, je me disais: "Mais pourquoi il se met dans des états pareils pour des hommes qui ne lui arrivent peut-être même pas à la cheville?" On ne peut pas juger un homme par sa position, mais on le juge par ses actes et par ce qu'il est lui-même."

Peut-être sentait-on en moi un oeil critique, ou amusé...
- Vous avez dû avoir un jugement très dur sur la cour, sur tous ces gens qui, pendant quatorze années de pouvoir, vibrionnaient autour de votre époux...
- "Eh bien, je vais vous dire: moi, j'ai vécu en marge de cette cour, à l'Elysée."

- Pourquoi?
- "D'abord, parce que je ne les rencontrais pas. J'étais dans mon domaine, c'est-à-dire dans mon aile est, où j'avais mon secrétariat, plus préoccupée des problèmes des Français que des intrigues de cour. Peut-être sentait-on en moi un oeil critique, ou amusé..."

- Pas vraiment amusé!
- "Parfois agacé! Et puis, l'Elysée, j'y ai passé quatorze ans, mais je revenais chez nous, ici, rue de Bièvre, très souvent. Je tenais mon rôle de représentation quand c'était nécessaire et j'essayais d'utiliser au mieux les contacts établis dans ce cadre de rencontres internationales pour défendre mes causes avec les meilleurs soutiens... Combien de fois François ne m'a-t-il pas dit que j'exagérais... Le pauvre, je l'ai torturé!" (Rires.)

- Il y a un chapitre, que vous intitulez "Pauvre François"!
- "Oui, j'y raconte certaines situations où, en toute conscience, j'usais de mon droit d'ingérence. Un jour, à table, le roi des Belges, Baudouin, me dit: "Alors, parlez-moi un peu de la fondation?" Et François le met en garde: "Vous ne savez pas à quoi vous vous engagez!" Et mon beau-frère Roger Hanin, s'il avait été là, aurait plaisanté: "Oh! là, là! faites attention! Si vous lui demandez l'heure, elle va vous dire qu'il est cinq heures moins quatre Kurdes!"

- Le domaine que vous vous êtes approprié, les causes du tiers-monde, c'est une autre forme d'engagement politique...
- "Pour moi, l'humanité est une et indivisible, et je ne sais pas pourquoi on s'est acharné à vouloir faire des frontières: nous sommes tous pareils. D'ailleurs, l'idée de mondialisation sociale, François la développait dès 1947."

- Pourquoi invoquer nécessairement François Mitterrand pour affirmer vos convictions?
- "Parce qu'en le relisant j'ai remarqué combien nous partagions les mêmes convictions. Cela a adouci pour moi une période bien difficile."

- Une grave opération du coeur?
- "Oui, une passe douloureuse."

Je suis vaccinée contre le regard des autres
- La très grande majorité des Français, même ceux que vous avez longtemps agacés, par vos opinions et votre militance, vous a aimée et admirée, le jour des funérailles, quand vous avez pris Mazarine dans vos bras.
- "C'est sa fille. Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau. François l'aimait énormément. Elle est très attachante."

- Et vous la voyez?
- "Oui."

- L'existence d'une seconde famille, cette idée, au fond, que l'on peut avoir plusieurs fidélités, plusieurs formes d'amour, ou d'attachement, nous nous sommes rendu compte, à L'Express, en faisant un sondage à grande échelle, à quel point les Français y sont extraordinairement sensibles, contre toute forme de conformisme.
- "Les Français, et je suis sûre beaucoup de gens dans le monde, en ont assez de l'hypocrisie du conformisme. Il faut admettre qu'un être est capable d'aimer, d'aimer passionnément quelqu'un, et puis, les années passant, il aime autrement, peut-être plus profondément, et puis il peut tomber amoureux de quelqu'un d'autre. L'hypocrisie absolue, c'est de vouloir juger ça. Vous savez, dans le courrier, j'ai reçu beaucoup de lettres d'enfants naturels, qui me disaient justement: "Merci d'avoir ouvert un chemin. Moi, mon père va mourir, mais je ne pourrai pas aller à son enterrement, parce que sa femme ne m'a pas accepté.""

- Il y a le regard des autres.
- "Alors, je vais vous dire, je suis vaccinée contre le regard des autres, parce que, si je devais me regarder dans les livres des affabulateurs, des calomniateurs et des aigris paranoïaques qui se font leur célébrité en salissant notre famille! Alors là, je suis vaccinée, et, je vous assure, bien vaccinée. Moi, je mène mon chemin comme je crois devoir le mener, en toute conscience, et on peut dire n'importe quoi, ça ne me touche plus en ce qui me concerne. Lorsque ces médisances visent ceux que j'aime, je réagis plutôt mal."

- Rien ne vous a blessée, depuis le 8 janvier, dans la presse?
- "Je vais vous dire une chose: la presse, je ne l'ai pas lue depuis début janvier, la télévision, je ne l'ai pas regardée, et je suis au courant des choses par les informations de LCI, à toute allure. Un point, c'est tout."

- Et les photos, par exemple? Les photos de François Mitterrand sur son lit de mort vous ont-elles choquée?
- "Ce ne sont pas les photos qui m'ont choquée. C'est le fait que quelqu'un pénètre dans notre intimité alors que nous ne voulions pas de photos, que quelqu'un s'introduise et fasse les photos malgré nous. On nous les aurait demandées, nous aurions réfléchi et peut-être aurions-nous laissé faire. D'autant qu'il était très beau, très serein."

- Vous savez qui les a prises?
- "Non".

- Vous voulez le savoir?
- "Je m'en fiche".

- La polémique autour de la santé du président et de ce qu'on a appelé le "mensonge d'Etat", c'est-à-dire la manière dont les communiqués médicaux ont trompé l'opinion sur l'état de sa maladie...
- "Ecoutez, je ne veux pas entrer dans cette polémique. D'abord, moi, je vivais avec François. Et jusqu'en 92 il avait peut-être des analyses qui n'étaient pas bonnes, mais, dans sa vie courante, personne ne pouvait supposer qu'il était malade."

- Mais vous, vous le saviez?
- "J'ai su qu'il avait un cancer aux alentours de 1990, pas avant."

- Il ne vous avait rien dit?
" C'est en 91, je crois, quand il a commencé à souffrir, qu'il m'en a parlé. Mais, jusqu'en 90-91, jusqu'à l'opération de 92, rien ne laissait supposer dans sa façon de vivre que François pouvait être atteint d'une telle maladie."

- Et ça ne vous a pas surprise, ni affligée rétrospectivement, de découvrir que, même à vous, François Mitterrand avait, sinon menti, du moins dissimulé son état?
- "Non, il n'avait pas menti ni à moi ni à ceux qu'il aimait. Il avait simplement préservé notre tranquillité d'esprit."

Moi, je me suis trouvée face à la mort le 15 juillet 1994. Tout ce que je vis maintenant, c'est cadeau. Depuis mon opération du coeur, j'ai appris à relativiser.

- On sent tout au long de votre récit que la presse, les livres, ce que vous appelez la désinformation, vous ont pourchassée toute votre vie. Vous craignez de nouvelles attaques?
- "Une certaine presse et certains livres, spécialistes de la désinformation... Il faut remettre les choses à leur place. Moi, je me suis trouvée face à la mort le 15 juillet 1994. Tout ce que je vis maintenant, c'est cadeau. Depuis mon opération du coeur, j'ai appris à relativiser."

- Et donc, vous ne craignez pas que des gens cherchent à exhumer des histoires d'argent, des histoires du passé, à ranimer des polémiques...
- "Je ne crains rien. Ah! il fallait voir quelle notion nous avions de l'argent avec François, c'était un poème! On en avait, on le dépensait. On n'en avait pas, on s'en passait. Sa seule crainte, c'était que je donne tout à la fondation. Il me disait, ironique: "Laisses-en un peu aux enfants, quand même!""

- Et vos enfants, comment vivent-ils, eux, avec cette ombre?
- "Ils assument au mieux. J'ai vraiment deux garçons qui sont bien. Pourtant, ça n'a pas toujours été facile pour eux, croyez-moi. En 1981, Christophe, par exemple, a dû quitter son métier de journaliste, qu'il adorait, à cause de la nouvelle fonction de son père. Gilbert est entré en politique comme député, puis comme maire de Libourne. Je ne crois pas qu'il nourrisse des ambitions nationales et gouvernementales... mais je peux me tromper. Pour moi, ce sont des fils très solidaires et présents, je sais que je peux compter sur eux."

- Quel est le jugement que vous portez sur l'héritage de François Mitterrand, son héritage moral et politique, et la manière dont il est aujourd'hui assumé par les gens qui se réclament de lui?
" - Il faut sortir du parisianisme. L'image de François se perçoit et s'inscrira dans l'Histoire par les témoignages reçus du monde entier. Qu'est-ce que l'agitation de certains, en quête de succès de librairie, au regard de la confiance renouvelée encore récemment par des millions de personnes?"

- Vous ne croyez pas qu'en France le bilan de la gauche au pouvoir se traduise aujourd'hui par une grande déception...
- "Mais non, ce n'est pas vrai! Vous n'avez qu'à voir ce qui s'est passé à la Bastille la veille de l'enterrement de François. Et il y a les milliers de lettres de gens qui ne donnent pas l'impression d'être des déçus de la gauche, et qui, au contraire, rappellent tous les acquis gagnés durant cette période. Je ne dis pas que tout a été résolu, rien n'est parfait, mais le bilan est positif. C'est dans les dîners en ville parisiens qu'on trouve le plus de déçus de la gauche. François pouvait aller dans n'importe quel petit village du centre de la France, ou du Nord, ou du Sud, les gens venaient à sa rencontre et lui manifestaient leur estime."

- Et vous-même, vous n'avez aucune déception, aucun regret?
- "Non, aucun, ni déception ni regret. Mais j'ai encore tant d'envies et de projets... et pour moi le temps du bilan est arrivé."

- C'est-à-dire?
- "Celui de constater que ma vie est un sillon bien tracé et qu'il est profond."

- Tout est bien?
- "Tout est bien."

Partager l'info : Envoyer par email Facebook Twitter Partager Réagir : (1) Commenter A lire aussi

http://www.lexpress.fr/actualite/politique/danielle-mitterrand-la-gauche-etait-dans-mes-genes_612761.html

http://www.lexpress.fr/diaporama/diapo-photo/actualite/politique/c-etait-danielle-mitterrand_1053772.html?p=4

Danielle Mitterrand, itinéraire d'une femme engagée
L'épouse de l'ancien président de la République est décédée ce mardi à 2 heures du matin.
http://www.liberation.fr/politiques/01012373018-danielle-mitterrand-est-morte

Sirop14

Posts : 26848
Join date : 2008-06-02

Back to top Go down

Back to top

- Similar topics

 
Permissions in this forum:
You cannot reply to topics in this forum